Edito #15 – TOUT SE RECOUPE. TOUT S’EXPLIQUE.

Est-ce que vous voyez cet homme, là, à côté de l’autre type en train de manger une part de pizza sortie de nulle part, aucune trace de carton à pizza autour de lui, non loin de la ligne de tramway, pas très loin du Lidl non plus, juste à côté de l’affiche à propos du concert d’un chanteur qui aura lieu prochainement, la semaine prochaine, dans une grande salle de concert ?

 

Eh bien la femme à côté de lui, seule, sombre, à qui il manque une jambe et qui ne semble pas concernée par la situation, c’en est une : une agente REAL.

 

Elle ne contribue pas à la revue, ne nous a jamais envoyé de textes, n’en écrit pas, n’en lit pas, on ne se parle pas, si on la croise on fait semblant qu’on n’a pas de sous sur nous, Damon la regarde brièvement puis cesse de la regarder, Sapin se tâte la poche de pantalon pour faire croire qu’il n’a pas son portefeuille sur lui alors qu’il est évident qu’il a son portefeuille sur lui, précisément là où il s’est tâté, et pourtant elle fait partie de REAL, c’est grâce à elle, nous semble-t-il, avons-nous décidé, que le REAL s’étend, de façon nette, de façon qu’on peut pas remettre en cause, et c’est à cause d’elle, entre autres, mais aussi d’autres unijambistes, et d’autres pauvres, et aussi d’autres personnes des classes moyennes, et aussi d’autres personnes des classes laborieuses, et aussi d’autres personnes qui mangent des pizzas qui sortent de nulle part, que Sapin, que Damon, c’est-à-dire nous, continuons, à une vitesse de plus en plus variable et aléatoire, à publier des numéros de cette revue REALPOETIK que vous ne tenez pas entre vos mains car c’est impossible, et ce malgré les impératifs tout à fait autres du réel, parmi lesquels on peut compter le fait d’avoir fait des enfants, le fait d’avoir un travail, le fait de penser à des autres trucs; les deux, vous l’aurez compris, le REAL dont cette femme est agente et le réel dont on cherche à se désengluer, étant deux choses bien séparées, bien différentes, mais ayant, à la manière d’un arbre à double tronc ou d’un chat à double tête, toujours quelque chose à voir ensemble.  

 

Et si vous comprenez ça, vous comprendrez bien pourquoi, en ce même numéro-ci, dit numéro 15, de la revue dite REALPOETIK, se trouvent présents :

 

Jindra Kratochvil qui dévoile, avec bonhomie et tendresse, les petites choses qui distinguent la bête brute de l’homo sapiens évolué, prêt à enfiler sa camisole de force 

 

Antoine Brea qui procède, avec finesse et bon goût, à la re-mise en bière de Tony Duvert, sous une pile de casseroles sales et une pyramide de bouteilles de Pschitt

 

Melchior Liboà qui rappelle avec bonheur que même dans la misère boueuse et syphilitique d’un hiver pétersbourgeois des années 1860, l’homme est toujours capable, à l’aide d’un peu de sens du romanesque, de s’enfoncer un peu plus, pour la beauté du geste

 

Arno, précédemment Jacob, précédemment Adrian Vogelsang qui ressort avec élégance l’entonnoir pour la collection automne-hiver

 

Damon qui plonge avec témérité dans 217 pages d’Anne Kawala et en ressort avec une petite boîte en or entre les dents

 

et que tout cela est illustré de façon formidable/épatante par Anabel Serna Montoya, artiste pluridisciplinaire qui peint avec de l’or, qui orne enfin REAL des vrais cheveux qui manquent à nos têtes, s’appropriant la tradition de l’ex-voto populaire mexicain d’Amérique du Nord, car ne nous y trompons pas, dans le réel, comme dans le REAL, le Mexique est bien en Amérique du Nord –

 

Tout se recoupe. Tout s’explique. Il n’y a pas de hasard.