Vanhonfleur Delabodega – Alors à demain

y’en a qui disent
que les chiens auront des crocs comme des seringues
et des yeux en silicone
pour mieux voir ta gorge dans le noir
et de leur gueule béante glapiront
les gerbes de la nuit
et les pelures fluo des dernières nuées de l’aube
y’en a qui disent
qu’ils ont oublié de quoi ils causaient
à quoi ils pensaient
ce qu’ils souhaitaient
dans le fond
au bout de leur crâne entortillé
au milieu de leur mille cheveux en friche
ce qui en était de la teneur en vitamine CB+
de leur vie
de l’effet pullulant de leur vie
qu’ils pressent en eux
comme une fourmilière de larves exhaussées
utiles à la société
« je veux vivre mille ans
mettez-moi des machines sophistiquées dans la tête
toutes les machines sophistiquées que vous voulez dans la tête les robots de mes ADN
je signe illico
les conditions générales d’existence
pour vivre mille ans
je vous donne mes peaux mortes
clonez-moi mes peaux mortes et que
mon clone me donne ses peaux mortes à moi
et qu’on se recloue à fleur de peau
comme des boutures de nous-mêmes
dans un cycle merveilleux »
y’en a qui disent
que ça sent le roussi
le grand feu du grand barbecue étincelant
qu’on est prêt qu’on est suffisamment seul
pour accepter de cuire sur place
qu’on a l’échine de l’occipital si courbée
qu’on se lèche le nombril de la résurrection
qu’on s’avale de l’intérieur qu’on se suçote

comme un pouce tiède
à la recherche de notre propre liturgie
y’en a qui disent
que les épluchures acides cherront du ciel comme les oiseaux morts mordront la poussière que des typhons de boue engloutiront les gosses
dans des rouleaux d’insomnies
que ça va nous tomber dessus
comme une pluie de pilules
un sac de noix
y’en a qui disent
qu’il faudra faire la dernière fête
où personne ne s’amuse mais où tout le monde continue de rire
d’une dernière glotte immergée
suspendue à l’os
un dernier ligament
d’un avant-dernier rire
éclatant la gorge comme un pop-corn bouffi
rôti flétri sucré
y’en a qui disent
qu’ils transfigureront leurs yeux
pour mieux voir qu’il n’y a plus rien à regarder
et trouveront refuge dans des simulacres
de mangrove mielleuse et de mer martienne
« Nous irons vivre sur d’autres planètes
dans des aqua-bulles
confortables et toniques
comme un tapis de fleurs exotiques
nous mangerons des pêches onctueuses
de nos bouches transmuées aux salives souples
les calamars s’étioleront entre nos dents d’or
et de foudroyantes amphétamines glapiront dans nos sexes et nos muqueuses
comme des rivières de feu »
y’en a qui disent
que tant pis ils changeront de peau
plutôt que d’être mal dedans ils prendront la peau qui sent bon la
peau qui vous va comme un gant
la peau de la chance
celle qui ne manque pas
la peau qui gagne à tous les coups
la peau qui donne de belles couleurs au teint
et que tout ira bien que tout se passera bien pour eux
qu’il n’y a rien à craindre que demain sera un jour bleu comme un autre jour bleu
qu’ils creuseront leur île mentale
au-dessus du niveau du monde
qu’ils mettront une pince à linge sur le nez de leur île mentale
parce que ça pue trop dehors

qu’ils mettront un gros scotch waterproof sur la bouche de leur île mentale parce que ça crie trop dehors
qu’ils agraferont les paupières translucides de leur île mentale
parce que c’est trop triste dehors

et quand ils seront bien clos ils pourriront infiniment assez lentement
y’en a qui disent

qu’il ne faudra pas se plaindre
que c’est trop tard qu’il fallait le faire
avant
quand on avait la main dessus
qu’on pouvait encore y changer quelque chose y mettre du sien
et rentrer chez soi
la conscience
désépaissie
et le cœur comme une sauterelle
mais que maintenant le blé digère
les ailes des coccinelles
les oreilles des lapins
et recrache une image meurtrie
de nos mains