Fabien Drouet – Que fais-tu dans ma gare déguisé en forêt à venir frôler mon fils avec le canon de ton fusil froid ?

 

Texte précédemment publié dans le numéro 5 de la revue Métèque n°5, malheureusement épuisé. Avec l’amical accord de JF Dalle.

 

 

et tu souris

je ne te respecte pas

d’ailleurs

je ne respecte personne

je ressens c’est tout

je n’ai plus de conviction

c’est plus profond maintenant

tout est rentré dans l’ordre je t’aime ou je ne t’aime pas

je sais que tu t’en fous

je ne t’aime pas

Que fais-tu

dans ma gare

déguisé en forêt

à venir frôler mon fils

avec le canon de ton fusil froid, que fais-tu avec ton détecteur de métaux à boucher l’entrée de notre parc alors qu’il y a trois autres entrées par le côté ?

Je passerai toujours par l’autre si j’ai envie je trouverai, ceux qui veulent faire péter ce que tu crois protéger sauront le faire de toute façon

c’est facile de tuer au hasard

tu n’y changeras rien

que fais-tu déguisé en forêt à venir frôler mon fils avec le canon de ton fusil froid ? Et tu souris, qui t’a appris à être fier comme ça ? donne-moi l’adresse j’ai besoin de confiance

j’ai cru que j’allais te le dire mais tu me fais peur pauvre salope, et tu ne sais même pas que tu es pauvre pauvre salope, je compatis, un peu, je compatis, comme quoi je ne te respecte pas

elle est finie l’époque où le militaire ramenait le pain à sa famille affamée

faisait ça pour ça

tu as le choix

je ne te respecte pas

je ne respecte personne et je n’aime pas ce mot

on ne fait pas dans la politesse quand on aime, on aime ou on n’aime pas

on cherche à être bien et ça bouge

et je hurle parce que tu me dégoûtes

il n’y a pas que toi

ne t’en fais pas

mais c’est toi que j’ai croisé, hier

c’est ton visage que j’ai vu et c’est de toi que je parle, et c’est à toi que je parle

je ne te le pardonnerai pas tu as souri à mon fils tu as paradé devant lui faisant mine d’être un héros, déguisé en forêt, mignonne mascotte tu t’en fous mais ton sourire m’a donné la foi je ne suis pas capable de te tordre le cou rumeur crasseuse, j’ai eu envie de te planter mais je ne veux pas ça

non plus, et j’ai peur mais je ne tendrai pas l’autre joue, parce que la violence n’est pas que physique et que toi,

déguisé en forêt,

tu en propages l’odeur

tu la formes tu la vantes tu nous la vends

tu ne te sens pas ridicule et tu ne te sens pas dangereux ? tu n’as pas remarqué qu’il est fini ton rêve ? que c’est fini de ramper dans la boue oui c’est fini l’aventure, la belle aventure, tu déambules comme un con avec ton uniforme dans les parcs devant les mosquées les églises au marché devant les préfectures et les synagogues dans les manifestations, tu brises les chants

tu te tires dessus

tu tires sur tes enfants tu croyais partir à la guerre tu as de quoi être déçu c’est ici, Donald à Disneyland a plus de prestance que toi, un rôle plus noble,

tu incarnes, tu ne fais qu’incarner tu n’existes pas tu es déjà mort, le pouvoir de la peur la raison du pouvoir, la peur, le pouvoir de la peur te mâche et te recrache, tu as le choix mais continue, continue et sois fier, forme les enfants à la passion de la guerre, souris, sois fier pantin, ta présence est délétère et ton sourire, aux enfants, nous promet de jolis siècles de lâcheté et du sang et des bombes, tu n’es pas le tout de cette infamie, tu n’es qu’un petit pion de l’échec, tu t’en fous, tu t’amuses bien ? Tu es bien payé ? tu te sens utile ? qui es-tu ? as-tu été un enfant ? Sais-tu que l’armée à laquelle tu appartiens n’a jamais forgé la paix ? Redresse les épaules on te prend pour un con, je te prends pour un homme, je te dis : tu as le choix,

tu ne sais rien de nous,

nous sommes à tes trousses

ne te retourne pas

ça tu sais faire

foncer corps sans tête

tu aimes les ordres ? je vais t’en donner : jette-toi du haut de mon immeuble en chantant du Joe Dassin

que je te voie passer quand je bois mon café

quand je fume en admirant la lune

joue-moi le spectacle du repenti qui n’a pas supporté

écris-nous ce livre sur les abominations de tes rues,

tu l’as ce livre, à l’intérieur de toi et ce n’est pas trop tard

parce que oui

tu as souri à mon fils mais je ne t’ai pas tué

j’ai été sage,

tu as le choix

mais fais gaffe, l’aimant approche

tu accélères

le temps file et la collision n’est pas si loin

saisis ta chance

si tu te sens coupable c’est que tu es

encore vivant

tu peux mériter mieux

que ce réveil

que ces rêves

quelques questions, tu jouis tu culpabilises ? tu joues tu te méprises ? tu y crois vraiment ? jusque là c’était vrai tu n’as pas le choix et puisque c’est fait passons mais maintenant Respire

égorge le colonel

tire l’oreille du sergent

mange le nez de l’amiral

appelle ta fille dis-lui que tu l’aimes

va voir la mer

il y en a des choses à faire

on pourrait même se croiser

écris

tiens

écris

ta haine ton impuissance et ton envie d’être un héros

c’est tout ça un poète

un grand acteur

ou un curé

défroque-toi

repeins ton uniforme

tu me fais de la peine

déguisé en forêt

je ressens de la pitié

comme quoi c’est bien vrai, je ne te respecte pas

je ne t’avais pas menti

 

taille-toi de là

et ne souris plus jamais à mon fils.