Laurent Bouisset – répéter ! répétons ! répé-téter ! répé-tétons ! répé-t’es con ?

plus qu’une seule chose à faire maintenant

plus qu’une seule chose maintenant à faire, une seule

plus qu’une seule chose maintenant, plus qu’une

plus qu’une maintenant à faire, en marche !

en marche ensemble, les poètes : répétons !

 

il y a eu la mode assez couillonne du gel coiffant

effet béton dans les cheveux

la mode sympa du djembé dans les parcs

pour égayer nos fins d’après-midi

la mode démente et sans lendemain

(mais toute mode n’est-elle pas sans lendemain,

et cela par définition ?)

de ce vaste délire si cher à Greg Damon

qui s’est appelé un matin :

Tecktonik Dance

 

et maintenant ?

maintenant les gaillards basketteurs sur les playgrounds

portent des collants 

– quoi des collants !

– ben oui, va voir !

– mais pourquoi ça ?

– parce que Kobe Bryant en NBA en a porté…

– seulement Kobe ?

– Kobe d’abord, et maintenant tout le monde…

 

mais c’est pas le sujet du tout…

le basket, on s’en fout !

on va parler bien plutôt des poètes !

ouais, les poètes, original, tiens, pour changer !

c’est-à-dire : des gens hauts !

des gens profonds !

soustraits aux modes ?

ben pas vraiment…

– tu veux dire quoi ?

– qu’il y a des modes, en poésie aussi…

– lesquelles ?

– des tas…

– lesquelles, je te dis !

– des tas…

– lesquelles, bon sang ! je te dis !

– des tas ! des tas ! des tas ! des tas ! des tas ! des tas !

– pourquoi tu répètes six fois la même chose ?

– parce que c’est ça, la mode, en poésie, justement mon gaillard !

– le chiffre 6, c’est ça, la mode ?

– mais non, t’es con, pas six du tout… simplement : la répétition !

– ah ouais, c’est ça ?

– c’est ça, je te dis ! c’est fabuleux actuellement !

 

écoute un peu comment

les gens poètes

ont le CD rayé au bout de la glotte

 

écoute un peu comme ils

patinent et ressassent

 

écoute un peu comment depuis

le frangin Ghérasim Luca

 

(je cite Luca :

 

« le vide vidé de son vide c’est le plein
le vide rempli de son vide c’est le vide
le vide rempli de son plein c’est le vide
le plein vidé de son plein c’est le plein
le plein vidé de son vide c’est le plein
le vide vidé de son plein c’est le vide
le plein rempli de son plein c’est le plein
le plein rempli de son vide c’est le vide
le vide vidé de son plein c’est le plein
le plein rempli de son vide c’est le plein
le plein vidé de son vide c’est le vide
le vide rempli de son plein c’est le plein
le plein vidé de son plein c’est le vide
le plein rempli de son plein c’est le vide
le vide vidé de son vide c’est le vide
c’est le plein vide
le plein vide vidé de son plein vide
de son vide vide rempli et vidé
de son vide vide rempli et vidé
de son vide vide vidé de son plein
en plein vide 
»

 

ou encore p.279 du livre de poche préfacé par Velter, si c’est pas assez clair comme ça :

« Corps angoissant engendré

par un triangle

rectangle angoissé

qui tourne angoissé

autour d’un des côtés angoissants

de l’angle droit de l’angoisse

 

Plus généralement angoissée-angoissante

une surface angoissante

est engendrée

par une droite mobile angoissée

en passant angoissante

par un point fixe

angoissé-angoissant

dans l’espace de l’angoisse

 

Le point fixe angoissant

est le sommet de l’angoisse

la droite mobile angoissée

sa génératrice angoissante

et la courbe fixe angoissante

la directrice angoissée »

 

et bon ben depuis que

le très grand Gilles Deleuze a vanté

Ghérasim Luca très haut

aussi, faut dire

 

(je cite Deleuze :

« Gherasim Luca est un grand poète parmi les plus grands : il a inventé un prodigieux bégaiement, le sien. Il lui est arrivé de faire des lectures publiques de ses poèmes ; deux cents personnes, et pourtant c’était un événement, c’est un événement qui passera par ces deux cents, n’appartenant à aucune école ou mouvement. Jamais les choses ne se passent là où on croit, ni par les chemins qu’on croit. »

 

avant qu’à Marseille le Monsieur Tarkos

n’épaississe très abondamment la soupe aussi

en boucles rageuses

 

(je cite Tarkos :

« Tout est totalement monstrueux ma face collée à manger est monstrueuse à pommeaux à trous à volonté à s’accrocher à tout s’accrocher est monstrueuse ma bouche ouverte est dégueulasse des ronds d’yeux liquides sont monstrueux clignent la face est monstre de mes miennes narines seules mes narines les deux seules vues les deux seules narines bougeantes mes narines bougent toutes seules mes narines bougeantes sont monstrueuses ce qui sort de mes narines oreilles est monstre monstrueux ma monstrueuse bouche tout est monstrueux ce qui sort des oreilles et des yeux s’échappe dehors est dégueulasse déborde dehors c’est dehors débordé ma haleine est monstrueuse ce qui sort de mes narines qui bouge tout seul est monstrueux et irrespirable des monstres me sort par les yeux me sort par le nez déborde dehors est monstrueux et c’est dehors pense dehors qui pense tout me sort par le nez et par les oreilles dehors a débordé a tout préparé est bien installé pense tout est tout installé tout est dégueulasse débordant dehors pense monstrueusement je mange dehors monstre. »

 

ou encore, si ça suffit point :

« Je soulève le couvercle de la théière. La théière est en fer peint de fleurs sur un fond blanc. La théière est en fer-blanc, a la forme d’une cafetière. Je soulève le couvercle de fer-blanc de la théière, je le pose à ses côtés sur la table en bois. Je prends la bouilloire et je verse l’eau bouillante de la bouilloire dans théière en fer ouverte. J’enlève le couvercle, je pose le couvercle, je verse l’eau, je prends le couvercle, je repose le couvercle sur la théière en fer. Je referme la théière en fer qui fume. La théière de thé tiède est pleine d’eau chaude. Le thé dans la tasse blanche a le goût du thé couleur thé. Éclaircie par la tache blanche, la vapeur d’eau et l’eau chaude versée dans la tasse blanche aux bords chauds. Une goutte de thé versée goutte sur le bec de la théière qui verse le thé dans la tasse et glisse sous la gouttière courbée de la théière puis le long de la courbe de la théière de terre et tache la table. Je prends la tasse. Je bois une gorgée de thé chaud. Le thé fait mal au cœur. Je bois une gorgée, je repose la tasse. J’oublie la tasse de thé. J’ai mal au cœur. J’ai soif, je prends la tasse, je bois une gorgée. Je repose la tasse. Le mal au cœur s’adoucit. J’oublie la tasse. Je bois une gorgée de thé, le thé est froid. »)

 

enfin voilà comment comment comment

depuis depuis depuis

tout ça tout ça tout ça

 

ben voilà

bon bon bon bon bon,

c’est l’effet-bœuf !

 

l’effet bouclé en boucle qui frise !

 

folie très grande et grand délire

d’aller tout le temps dupliquer

d’aller tout le temps dupliquer

d’aller tout le temps, quoi ? ben… dupliquer encore

la même chose ruminée

la même chose… quoi ? ben… ruminée !

la même chose… quoi ? ben… ruminée ! malaxée ! tritouillée !

 

chewingue à la mort le vers chewing-gum, la classe totale !

perroque à mort le poète-perroquet, la classe totale !

radotage franc des frères Dupont,

des frères Dupond,

des frères Dupont

« j’dirais même plus » à la mort assumé ! martelé ! envoyé

 

redite atroce absolument, oui mais voulue !

rengaine terrible absolument, ouais mais cherchée !

féroce et teigneuse multiplication profonde !

de quoi ? du même ! du même ! du même !

– tu m’aimes ?

– mais non, du même encore jeté ! craché ! récupéré !

 

par l’époque sadique qui assène

par l’époque sadique qui assomme

 

par l’époque sadique qui

harcèle assomme assène

 

assène assomme harcèle

 

harcèle harsomme harssène

à mort les ouïes

à coups d’encore

 

et d’anaphores surgelées transgéniques

 

à coups jetés, tambourinés, rédupliqués

de redit, répété, re-digéré, rédupliqué,

 

remis là sur la table encore une fois !

rédupliqué – l’ai-je dit déjà ? le dis encore !

le dis dix fois ! non, trois ça va, c’est déjà beau et lourd, mon gars :

rédupliqué ! rédupliqué ! rédupliqué !

 

sautons gaiement !

sautons ensemble !

tapons tous dans nos mains ensemble !

ensemble sautons !

ensemble gaiement !

ensemble gaiement tapons

tous dans nos mains ensemble !

 

ceux qui ne comprennent pas le baskets en collants…

ceux qui ne comprennent pas la tecktonik chère à Damon…

ces enflés-là, ils sont trop nazes !

ou ils mettent pas du leur assez 

ce sont gens tristes…

gens compliqués qui comprennent pas

veulent pas comprendre, les cons, c’est vrai !

la vraie folie

la folie vraie

la fière déconne

la déconne fière

mais pas seulement…

la swing-déconne également !

la jazz-déconne !

la rock-déconne impressionnante !

d’aller s’inscrire à la folie dans la lignée

la bien nommée la bien tracée et parfois bien payée :

Luca-Deleuze-Tarkos !

allez donc faire un peu comme eux !

allez donc faire un peu comme ça !

tous dans les mains, jusqu’à l’extase, tapez en chœur !

avec eux, répéter !

avec eux, répéter !

avec eux, répéter !

avec eux, répéter !

avec eux, répéter !

avec eux, répéter !

reste quelqu’un qui n’aurait toujours pas compris

où je voulais en venir ?

ce serait judicieux que je

répète encore une fois les choses ?

ou c’est bon ça suffit, je donne l’exemple ?

– une fois encore, s’il te plaît, c ‘est trop bon…

– d’accord, ça va, je recommence un brin encore :

avec eux, répéter !

avec eux, répéter !

avec eux, répéter !

 

quoi j’exagère ?

comment ça, j’exagère ?

en tant que Marseillais, c’est plutôt une bonne chose !

et puis bon quoi qu’vous voudriez ? de l’exemple qui exemplifie !

de l’exemple exemplaire qui prouve la chose ?

de l’exemple arraché à mon exemplier qui sache comment

exemplifier un peu la chose qui là comme ça

toute nue

telle quelle

a du mal à convaincre

car faibles et courts restent mes mots

tels des hot-dogs sans leur moutarde

je veux dire : des kebabs sans harissa…

des Mario Bros sans leur ventouse…

des poètes parisiens sans suffisance…

c’est bon, ça va, c’est bon…

on a compris, ça va, c’est bon…

on aurait même un peu fini par piger ton idée centrale…

à ta thèse maintenant, gugusse, il faut l’exemple !

 

un peu, mon neveu !

je le sors haletant du sombrero

ce fier extrait

ce bref extrait,

ce dingue extrait de Cavalcade,

le livre très dingue et dingue

et dingue aussi – je l’ai déjà dit ?

de l’ami Vincent Tholomé

paru en 2013 aux éditions Le Clou dans le fer (expériences poétiques),

 

alors bon quoi, je cite, me tais, m’efface,

mais reviendrai baver après immédiatement,

c’est pas fini, rassurez-vous,

 

je vais être méchant pire par la suite !

 

je vous en prie, faites un effort !

efforcez-vous, un peu d’efforts !

je vous en prie, merde, de l’effort !

 

je vais revenir juste après ça,

vous en supplie,

me mets à genoux,

vous fais de l’œil,

je vous en prie,

les amis, s’il vous plaît,

ne partez pas,

restez ici,

groupir ensemble et pas ailleurs !

 

car s’il vous plaît

je vous en prie !

je vous supplie !

me mets à genoux !

vous en conjure !

me sors le cœur et vous le tends !

vous le toaste légèrement sur les deux faces !

et vous le tends !

mastiquez-le !

mâchouillez-le !

chewing-gumez-le !

et malgré ça, restez ensemble !

restez ensemble ici et avec moi !

avec moi ensemble et ici !

avec moi ensemble là pour moi !

 

car tout minable et nu

je vous en prie !

vous en supplie, de pas partir !

restez là patiemment

restez gentils, subtils et pas moqueurs,

je vous en prie,

posez votre cul, et malgré ça

malgré tout ça, restez assis

restez là bien gentils sur votre cul à m’écouter,

ne partez pas

 

restez en place et là gentils

à m’écouter, je vous en prie,

les amis, soyez là,

soyez ensemble et

silencieux, là devant moi

à écouter !

à écouter silencieusement !

L’EXEMPLE MOQUEUR !

L’EXEMPLE PERFIDE !

PUTASSIER !

DÉGUEULASSE !

 

et malgré ça,

malgré cela qui va couler

comme un roquefort laissé au soleil tout l’après-midi,

je vous en prie,

faites un effort,

faites malgré tout l’effort

de rester là à m’écouter

 

please un effort,

un bref instant d’attention,

s’il vous plaît,

mes orteils vous en prient

mes artères vous supplient,

vous implorent, vous conjurent,

don’t go away !

stay here my friends !

don’t move !

Listen !

Listen !

Listen !

Listen !

Listen !

Listen !

Listen !

 

et malgré tout,

malgré tout le reste,

malgré l’horreur du monde et de la nuit,

malgré la vie, l’horreur, la nuit,

malgré l’horreur du monde et de la nuit,

malgré la vie, l’horreur, la nuit,

malgré l’horreur du monde et de la nuit,

 

oui malgré donc tout ça,

malgré ce pas-bien-là-du-tout

qui bloque l’aurore et pas seulement…

et aussi bloque l’aurore !

et aussi bloque l’aurore !

et aussi bloque l’aurore !

 

et fait qu’à 15h par moments

on voudrait fouetter Rantanplan…

– MERDE À LA FIN TU VAS LE CHIER TON CHIEN D’EXEMPLE ?

oui, le voilà, pardon, pardon, pardon, pardon, pardon, pardon, pardon, pardon…

– CHIE-LE ! TA GUEULE ! FAIS-LE !

voilà :

 

« nous vivons naturellement &

nous vivons naturellement »

 

– c’est tout ?

 

– c’est pas fini ! me coupe pas, s’il te plaît ! je t’avais dit d’attendre :

 

« nous vivons naturellement &

nous vivons naturellement

ce que naturellement nous sommes devenus.

nous vivons naturellement &

nous vivons naturellement

ce que naturellement nous sommes devenus. »

 

– c’est deux fois la même chose ?

 

– t’es chiant ! tais-toi! Attends !

 

« nous vivons naturellement &

nous vivons naturellement

ce que naturellement nous sommes devenus.

nous vivons naturellement &

nous vivons naturellement

ce que naturellement nous sommes devenus. 

nous vivons dans la nature naturelle

ce que naturellement nous sommes devenus. »

 

– et la nature pas naturelle, ce serait quoi ?

 

– dehors !

 

– pardon…

 

« nous vivons naturellement &

nous vivons naturellement

ce que naturellement nous sommes devenus.

nous vivons naturellement &

nous vivons naturellement

ce que naturellement nous sommes devenus. 

nous vivons dans la nature naturelle

ce que naturellement nous sommes devenus. 

nous vivons fluides et naturels

ce que la nature naturelle

a naturellement fait de nous. » (p.39)

 

– bon, admettons, oui, ça répète un peu… un autre exemple ?

 

« herbivores. en grappes nuageuses. Dévorant terre herbes & terre.

couvrant bientôt le sol. toute la

poussière de l’univers.

toute la poussière de l’univers.

toute la poussière de l’univers.

toute la poussière de l’univers grattant le

ventre des boucs & peignant les

chèvres & brebis les

longs poils des herbivores.

herbivores.

herbivores. » (p.31)

 

pourquoi trois fois « herbivores » ?

 

t’es con ou quoi ?

 

pardon ?

 

tu vas aller voir un type qui a les cheveux dressés sur la tête au ciment force 15

et lui demander pourquoi il a les cheveux dressés sur la tête au ciment force 15 ?

 

tu veux dire quoi par là ? que trois fois « herbivores » parce que

justement

c’est la mode de dire trois fois ?

 

bon dieu, tu serais peut-être intelligent quand tu t’y mets…

tu finirais même à la fin par comprendre ce que je raconte !

 

mais l’ami Tholomé que tu nous montres, il est pas le seul ?

 

bon, l’ado de base aussi en cours

quand le prof lui demande de la fermer,

il lui rétorque en jouant la victime : « je suis pas le seul !

les autres aussi font rien qu’à bavarder,

vous leur dites jamais rien à eux d’abord ! 

vous voyez qu’moi ou quoi, Monsieur ? »

 

d’accord, bon si tu veux, mais c’est quand même

de l’ordre du réel réel

que Tholomé, il est pas le seul !

sinon ça serait pas une mode…

 

une mode à la mode ?

 

une mode, putain !

 

ben oui, bien sûr, il y en aurait des tas d’autres à citer…

 

par exemple ?

 

Torlini, un spécialiste :

« il ne vous reste qu’à, reculer, qu’à reculer un peu plus et toujours il ne vous reste qu’à. reculer encore il ne vous reste, qu’à reculer il ne vous reste, et vers la sortie la fin de. il ne vous reste, vers la sortie le dehors de, vous-mêmes à reculer vous la sortie toujours à, fuir, ce qui chaque jour vous rattrape pourtant. à finir sans cesse et sans jamais, il ne vous reste, ce chemin en sens inverse vos, devenir-terre vos, absences lorsque plus rien n’a de sens plus rien, n’a de sens plus rien n’a de, sens, sinon. Reculer. (…)»

 

Laura Vazquez également pulse pas mal :

« Quand tu t’endors je te parle, je te parle, je te dis des serments, je te parle, je te dis c’est la guerre, je te dis les serments, je te fais la musique – à l’oreille – je te fais les serments, quand je parle – je parle – quand tu t’endors je parle, quand tu t’endors – quand je ne suis pas là – quand je ne suis pas là je parle, quand je parle – je te parle – et je ne suis pas là, quand je ne suis pas là je te parle – tiens écoute – tiens écoute je dis, je te dis tiens écoute, je te dis l’aventure, l’aventure c’est quelqu’un dans l’oreille, c’est quelqu’un dans l’oreille, c’est la dent sur l’oreille, (…) »

 

Caravaca Fabrice envoie du lourd :

« La rondelle de citron
L’aile majuscule de la couleur
De la rondelle de citron
Comme le jaune de l’œuf
L’œuf qui n’est pas rond
Pour ce que l’on en sait
C’est à dire presque rien
Ce presque rien qu’est la rondelle
De citron au citron
Qui n’est pas rond
Comme l’œuf n’est pas rond
La tranche de citron
M’est une tranche de vie
De ma vie qui n’est pas ronde
Ou qui tourne en rond
Ou moi qui tourne en rond
Autour de la rotondité
Du monde
De la naissance du monde
Qui mêle le blanc au jaune
De l’œuf
La tranche de citron
Gorgée de bière
Où la bière s’aromatise
Du jaune du citron
De la pulpe
De l’essence même du citron
Je tranche le citron
Et plonge la lame dans
Le jaune poussin du citron
Lèche la lame
Le jus de la lame du couteau
Et le rouge du sang de la langue
La langue sur la lame du couteau
L’acidité de la lame du couteau
Je tranche le citron
Et je tranche le verre
Le contenant
Je tranche le contenant
Comme le contenu
La bière gorgée de citron
Ou plutôt du jaune du citron
Et du rouge du sang de la langue
Qui énonce la fin
Du mensonge
Ou la fin du songe 
» (…)

 

Albarracin débloque à mort sur le plus grand site le plus grand du XXIème siècle, celui qui de très loin est le plus grand, le plus grand des plus grands, le plus grand site très grand des sites très grands, celui qui grand est grand et grand, j’ai nommé Poezibao :

« Cela n’a pas de nom. Cela n’a pas de réalité. Cela est ce qui n’ayant ni nom ni réalité nomme et réalise. C’est cela qui fait cela que tout est. Que tout est cela. Qui fait de ceci cela et de cela cela. Cela est comme une force qui se reçoit. Sitôt cela est, sitôt il est cela. »

 

ou plus probant :

«Parfois une qualité de la lumière, un peu comme si la quantité de lumière qu’il y a au ciel s’était muée en une qualité, toute la quantité en une seule qualité, d’un coup, par magie, une qualité d’abondance donc, mais pure, retenue, rare, qu’il y avait dans la lumière une approbation, une justesse, un « c’est cela », un oui sans quoi ni rien d’autre que ce oui. une qualité de la lumière, une lumière qui serait une confirmation native, un écho de l’inouï, quelque chose comme ça, une lumière qui soit la réponse à la lumière, et la lumière de cette lumière. »

 

et puis Bouisset…

 

pardon ?

 

Bouisset !

 

c’est qui ?

 

fais des recherches !

 

et alors quoi, lui aussi, il répète ?

 

il a fait répéter énormément un personnage,

dans un roman à jamais inédit…

 

comment on va faire pour le citer alors?

 

j’ai piraté son ordi, t’inquiète pas !

 

ah bon, c’est cool ! et ça donne quoi alors son truc ?

 

voilà, j’te l’jette, ce morceau de répétition terrible (sans donner le contexte du tout, c’est plus poignant) :

 

« – Je suis la réincarnation au XXIème siècle de Sergueï Guennadievitch Netchaïev. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Je suis la réincarnation au XXIème siècle de Sergueï Guennadievitch Netchaïev. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Je suis la réincarnation au XXIème siècle de Sergueï Guennadievitch Netchaïev. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Je reprends le combat là où le scorbut l’a laissé à la fin du XIXème siècle. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Mes doigts d’alors avaient tracé un livre : « Le Catéchisme révolutionnaire ». Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Puis le scorbut a eu la peau de mon âme, la faute à mes organes traîtres et pourris. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Mais le scorbut n’a jamais entamé un seul instant la pureté aveuglante de ma quête. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Je suis re-né pour que jubile à nouveau dans mes doigts le feu destructeur et la haine. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Je suis re-né pour que claque à nouveau au vent l’étendard maculé de sang de la révolution. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Je suis re-né pour détruire et venger, et arracher de mes ongles enflammés les racines putréfiées de la prostitution bourgeoise. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Je suis re-né pour détruire, enflammer, piller la comédie de ses clowns triomphants. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Longtemps, j’ai mis, c’est vrai bien trop, à prendre conscience de la vague immortelle de mon destin. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Longtemps, j’ai mis, bien trop, à prendre en mains le feu de mon identité réelle. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Quand les nazis m’ont tabassé dans l’arrière-salle de leur quartier de haute-sécurité. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Ils ont actionné, dans le feu de mon cortex, un mécanisme secret. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Ou ils ont stimulé une glande secrète, ou enflammé une brèche. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Les nazis en m’emprisonnant m’ont arraché à ma prison. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Les nazis, en m’emprisonnant m’ont arraché à l’attente que j’avais de mon feu souterrain. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Ils m’ont tapé dessus et arraché à ma gangue, à mon vide. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Ils m’ont cassé les os un par un et lavé. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Remis de mes blessures de guerre et de retour de la forteresse endiablée où ils m’avaient à nouveau pieds et poings liés. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Je me suis jeté corps et âme dans une course affolée sur internet. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Il pleuvait du plafond des sourires d’anges, une force aveugle et rouge tournoyait et vibrait. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. J’ai surfé et surfé encore, et pris des cachets importants. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. J’étais persuadé d’arriver quelque part et, trois longs mois plus tard de mer, j’ai vu surgir les yeux de Netchaïev. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. J’ai ressenti très fort une impression de déjà-vu devant ces sourcils et ce regard fou. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. Lisant sa biographie, j’ai lu ma vie. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. J’ai lu ma vie d’avant et l’historique de mon combat, un siècle auparavant. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. J’ai bu l’eau de la mer où je flambais pour absorber le choc. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. J’ai bu l’eau de la mer où je revenais à la vie. Ma femme Nadia, elle s’est barrée il y a trois mois. J’ai appelé au loin ma femme Nadia, je ne sais pas si je t’en ai déjà parlé… mais elle avait pris un bateau trois mois auparavant !

 

Je suis on ne peut plus clair maintenant, tu sais. Je suis on ne peut plus clair maintenant, vraiment. J’ai empilé toutes ces télés dans mon salon pour me renseigner sur l’état de la planète en permanence. J’analyse et j’apprends autant de langues que mes poumons féroces en sont capables. Tout paraît tellement plus simple depuis que j’ai appris le sens de ma mission réelle. Tout cela est écrit, tu sais. Parfaitement écrit par l’écume dans le feu que la nuit du très grand chambardement, l’Ange Révolutionnaire devra faire retentir son signal de bataille. Le répéter le plus fort et longtemps possible jusqu’à ce que l’Agneau vienne à la bergerie. Alors seulement, l’Ange Révolutionnaire rencontrera l’Agneau porteur de sa mission finale. Alors seulement, l’Ange révolutionnaire devra demander à l’Agneau s’il sait qui il est réellement, lui apprendre si l’Agneau l’ignore. Alors seulement, cette nuit-là, l’Agneau devra dévoiler sa mission finale à l’ange révolutionnaire. Tout cela était écrit, tu sais. Parfaitement écrit par l’écume dans le feu que tu es l’Agneau, mon enfant. Te voilà arrivé à la bergerie. J’attends vaillamment que tu me l’apprennes, la direction de ma mission finale. Pour à jamais inscrire dans l’infini. Le sillon destructeur de Netchaïev. Et le son de ses pas, le faire claquer. Dans l’aurore et la pluie de feu. De l’horizon immense. Et maculé de sang. De l’éternité révolutionnaire. »

 

– le contexte maintenant ? on est un peu paumés dans la nature…

– Netchaïev dans ce bouquin, c’est le pseudo d’un banlieusard quarantenaire quitté par sa femme…

– ça, on aura fini par le comprendre…

– voilà… et qui s’appelle donc en réalité : Jean-Pierre Dupont.

– L’horreur atroce…

– je préférerais : l’horreur horrible, c’est plus moderne et dans la droite lignée de la nature naturelle…

– ou du Secret secret dudit Monsieur Albarracin cité plus haut…

– bon si tu veux : secret secret, naturelle naturelle, nuit nocturne et fleur florale… toujours est-il qu’il vit l’horreur horriblement horrible, Jean-Pierre Dupont…

– l’horreur affreusement horrible…

– de la normalité affreusement normale de son nom…

– on le comprendra…

– on le comprendra…

– on le comprendra…

– on le comprendra…

– et bon ben la logique dans son cerveau devient très claire : en chopant quelque part sur internet le nom de ce révolutionnaire révolutionnairement révolutionnaire et terriblement terrrible…

– celui qu’attaquait Dostoïevski dans les démons ?

– celui-là même ! en chopant cette identité sulfureusement sulfureuse et diaboliquement diabolique…

– il se sent exister.

– c’est ça.

– sauf qu’il n’invente rien.

– il répète.

– il fait surgir du passé un fantôme…

– bien incapable qu’il est d’inventer quelque chose de neuf…

– quelque chose de nouveau…

– « Something else », très bon disque de Cannonball Adderley…

– quelque chose d’autre…

– alors le symptôme apparaît peut-être…

– il se pourrait…

– que notre époque…

– n’arrive plus à digérer le passé…

– digérer pour inventer autre chose…

– passer à autre chose…

– aller de l’avant…

– l’hologramme de Mélenchon, c’est une répétition aussi ?

– aucune idée… tout ce que je sais, c’est que la tendance est à ça.

– à multiplier.

– à redire.

– Badiou dirait que l’on manque d’événements…

– pas forcément d’événements au pluriel… un seul, ce serait déjà beau.

– un événement.

– quelque chose qui ouvre.

– qui ne soit pas la redite d’autre chose…

– qui ouvre une piste…

– une voix…

– un angle…

– cette chose-là inexistante…

– impensable…

– impensée…

– inconcevable…

– elle n’aurait pas besoin de répéter pour dire.

– elle ne dirait pas vingt-cinq fois la chose nouvelle.

– une fois, c’est tout.

– ce serait bien assez pour que naisse l’événement.

– en gros, ce qui manque à notre monde, c’est une naissance.

– c’est ça.

– autre chose.

– du neuf.

– du frais.

– rien à voir avec la résurrection de Netchaïev…

– rien à voir du tout avec résurrecter…

– revenir…

– refaire…

– l’inverse : créer.

– c’est ça : créer.

– ça n’arrivera jamais, tu divagues, tu délires…

– possible, mais la poésie délire plus assez peut-être…

– quoi ? Tholomé, il délire pas ?

– ben peut-être pas assez au fond…

– c’est discutable…

– Žižek dirait de lui qu’il n’est simplement « pas assez violent. »

– « pas assez violent » ? c’est quoi cette histoire ?

– c’est qu’il explose tout dans la steppe, mais en restant le derrière empêtré dans une sorte d’esthétique branchée contemporaine…

– donc il va vers l’explosion, la violence, avec humour, et il s’arrête…

– oui, il s’arrête…

– donc, il s’arrête…

– ouais, il s’arrête…

– donc il s’arrête… il ne va pas au bout de la libération

– je n’ai pas l’impression…

– c’est peut-être vrai… et si jamais ça arrivait ce truc alors ? cela dont tu nous causes ? cet événement libérateur qui mettrait un terme à la boucle enfin ?

– on arrêterait alors enfin de patiner sur place…

– je n’y crois pas franchement, pour être sincère…

– ben moi non plus, j’y crois plus trop, à force, faut dire…

– étant entendu que la pathologie…

– ne provient pas…

– n’est pas contenue…

– ne provient pas, j’ai dit ! tais-toi !

– des diables de…

– roulements à bille défectueux…

– pas une seconde du tout, j’ai vérifié…

– mais bien plutôt du fait plus simple…

– qu’on en fasse, du patin…

– dans un bac à sable, tout le temps…

– là est la chose…

– on est des patineurs du dimanche dans un bac sable…

– une plutôt bonne illustration de la névrose, non ? tu trouves pas ?

– tu veux parler de la névrose névrotique ?

– je veux parler de la tétine qu’on met aux gosses aussi tout le temps…

– ce truc qu’ils sucent répétitivement…

– tout le temps…

– plus tard, ils feront de la poésie qui boucle…

– de la poésie qui enrobe…

– de la poésie qui t’enfile au derrière des collants…

– et fait que t’es bien dedans…

– bien à suer…

– bien à boucler ta boucle en boucle longtemps…

– bien à répé-téter, répé-téter, répé-téter en boucle maman…

– bien à répé-téter, répé-téter, répé-téter en boucle ton joint…

– bien à répé-téter, répé-téter, bon j’en peux plus…

– pareil pour moi, j’ai trop jacté, je suis crevé…

– sur les rotules, déconfit, fracassé…

– en plus de ça, j’en peux plus de ta gueule… à plus tard ! oublie-moi !

– wesh, mon frère, c’est l’bonheur ! j’en peux plus de ta gueule non plus ! tu vas par où ?

– je vais par là, du côté de la steppe, j’ai rencart avec Volodine sous un manguier… et toi, tu pars de quel côté ?

– un manguier dans la steppe ?

– t’es prosaïque !

– prosaïquement !

– sans déconner, tu vas par où ?

– aucune idée ! j’en sais rien… je sais plus…