Julien Amillard – Testament

je Julien Amillard

ne laisse sur ce lit d’hôpital

le dos rasé, la blouse le cul à l’air

un cathéter bouchonné, la jambe paralysée

qu’un bracelet

 

son nom

sa date de naissance et un numéro de dossier

pour éclairer une vie de carton

 

de ville en ville

je visitai chaque hôpital

pour des opérations terrifiantes

à l’âge où l’obscurité nous effraie

des réveils les lèvres gonflées sans possibilité de cracher

le pénis à l’air, un anneau de sang autour de mon gland

mon passage à l’âge d’homme ne supportait aucun drap

une grosse fatigue sur les brancards alors que mon cerveau

avait électrisé tout mon corps

 

je Julien Amillard

ne laisse sur ce lit d’hôpital

le dos rasé, la blouse le cul à l’air

un cathéter bouchonné, la jambe paralysée

qu’un bracelet

 

des hôpitaux immaculés

avec les valses des infirmières

entrant sortant pour des antidouleurs, des plateaux repas et des douches

une humiliation quotidienne

anodine au regard de la douleur

 

et des textes gisant dans un ordinateur sans batterie

et protégé par un mot de passe

inconnu de quiconque

 

dans un carnet, des dessins sans talent

des bribes de lignes changées en masses

et des stylos usés jusqu’à la corde

 

le cathéter dans ma main

ne m’empêche de penser

à tout ce que je devrai faire

et ne fais pas

vouant mon temps à des écoutes radiophoniques

une sensation d’intellect

alors que rien ne se passe

au bord de l’Euphrate

à l’instar d’Alexandre

je suis un tigre bleu

c’est l’hernie qui s’échappe

 

je Julien Amillard

ne laisse sur ce lit d’hôpital

le dos rasé, la blouse le cul à l’air

un cathéter bouchonné, la jambe paralysée

qu’un bracelet

 

les raisins en Tupperware noircissent

au côté de raisins déjà secs

mêlés aux amandes, cacahuètes et pistaches

ne manquent que la bière

qui s’écoule au compte goutte dans ma main

et des spéculoos pour noyer mon café insipide

 

je Julien Amillard

ne laisse sur ce lit d’hôpital

le dos rasé, la blouse le cul à l’air

un cathéter bouchonné, la jambe paralysée

qu’un bracelet

 

l’infirmière est passée et retirée

le drain, 6 cm de plastique dans mon corps

pour évacuer le sang et éviter un œdème

qui m’obligerait – à quoi ?

rester alité ? Immobile ? Incapable

de bouger ?

le drain pendant comme une capote usagé

je suis soulagé de ne plus rien sentir

 

le ciel est gris

de ma fenêtre

les nuages ondoient

comme le pansement de mon cathéter

au-dessus du bracelet

portant mon nom ma date de naissance

et mon numéro de dossier

16007296

 

je Julien Amillard

ne laisse sur ce lit d’hôpital

le dos rasé, la blouse le cul à l’air

un cathéter bouchonné, la jambe paralysée

qu’un bracelet