Jakob Adrian Vogelsang – Vernissage

oui bôf oui bôf oui bôf oui bôf

 

oui rebobôf oui rebobôf oui rebobôf oui rebobôf

 

qu’est-ce qu’on s’emmerde c’est pas possible

 

oh mon dieu non c’est cette folle de Gersende cachons-nous trop tard elle m’a vu

 

faisons semblant de méditer profondément devant cette croûte si ça se trouve elle va me trouver trop morne et aura peur que je l’engloutisse dans ma mornitude GERSENDE ! ma chère mais je te croyais à Kassel !

 

Gersende : blabla !! blabla énergie blabla dévastateur subversif blabla et blabla

 

pas la peine d’écouter elle dit toujours la même chose à tout le monde à tous les vernissages

 

moi : très sexuel blabla et blabla transgressif blabla extraordinaire !!!

 

Gersende : reblabla bzzzz cuicui trrrrrr hahaha tu te rends compte ?

 

moi : c’est inouï ! je vais chercher un autre verre je t’amène quelque chose ?

 

courage fuyons de toutes les façons elle m’aura oublié dans trois secondes tiens à droite salle B encore dix minutes et je me barre

 

SALLE B : le prince des artistes ! celui qui vole les artistes pauvres colle son nom sur leurs oeuvres puis par eucharistie artistique décrète que c’est à lui

 

l’art furtif c’est mal mais l’art appropriatif-transformatif c’est bien c’est un juge qui l’a dit et il a même fait payer les frais de justice aux artistes désappropriées et tout le monde a bien ri

 

 

voler les riches c’est mal mais voler les pauvres c’est marrant les riches ça les fait bien rire voilà de l’art compréhensible et à leur image ils achètent ses oeuvres un chiffre exorbitant sachant que l’artiste-prince n’a fait que signer l’oeuvre et qu’il réalise un énorme bénéfice il faut récompenser l’audace de ce garçon et que ça nous porte chance pour nos furtivités futures

 

C’est un labyrinthe cette galerie où est la sortie ?

 

SALLE C : oh une performance ! au moins ça fera quelque chose à regarder mon dieu quelle horreur qu’est-ce que c’est que ça ? une fille presque nue à l’expression féroce mélange sur le sol un liquide visqueux à ce qui semble être de la farine c’est immonde je murmure malgré moi mais c’est quoi ça du sang de porc ? quelqu’un répond je sursaute je ne m’y attendais pas debout à côté de moi une femme squelettique violemment maquillée toute cliquetante de bracelets des ongles comme des crochets autour de son verre me dit non ce sont ses menstrues et elle boit une lampée de son cocktail rouge aaaaah hahaha courage fuyons courage

 

SALLE D : mais il y a tout l’alphabet ce n’est pas possible c’est un cauchemar bon prenons notre mal en patience au moins la salle D ne présente aucun danger faisons le tour rapidement

 

en réalité c’est de l’art furtif transformatif-transformatif, parce que d’abord il y a eu la phase furtive ensuite la phase transformative I, apposition talismanique du sceau du prince puis la phase transformative II, transmutation de l’oeuvre en cash

 

et voici une partition de performance : voler le cash de l’artiste-prince –cash qui n’est pas cash, mais oeuvre d’art–, offrir un repas pantagruélique à un tas de gens, et surtout, surtout, ne pas jeter la merde produite par ledit repas ! autrement ce ne serait que de l’art furtif qui est illégal, alors que nous parlons d’art appropriatif-transformatif

 

le cours de la merde aux dernières nouvelles est à 1000 dollars le gramme, puisque 30’000 dollars est le dernier prix de vente de la merveilleuse

 

MERDE D’ARTISTE

 

CONTENU NET GR 30

CONSERVÉE AU NATUREL

PRODUITE ET MISE EN BOÎTE

AU MOIS DE MAI 1961

 

, oeuvre créée par le très regretté Piero Manzoni avec des techniques traditionnelles

 

Horreur ! Pour sortir de la salle D il faut s’engager dans une sorte de tube trop bas et tout noir pas question je suis claustrophobe j’essaie de revenir à la salle C un surveillant m’empêche de passer hahaha comme c’est drôle c’est de l’art ça aussi mais bien sûr une performance mais quel cauchemar quel cauchemar enfin allons-y dans ce tunnel il va bien déboucher quelque part

 

SALLE E : à peine deux mètres plié en équerre je reprends mon souffle quelle horreur il n’y avait même pas assez d’air et la personne derrière moi me tâtait le cul pour se rassurer sans doute enfin la salle E au moins est presque vide excepté pour un truc en train de se dégonfler au milieu

 

ah tiens ça représente un phallus c’est écrit sur l’étiquette ; pauvre garçon ;

 

non attendez : l’artiste est une femme : c’est donc un message féministe mais bien très bien chacun ses idées qu’est-ce que ça peut faire ?

 

faisons un tour des murs vite fait

 

dire qu’on caque de l’art tous les jours et qu’on le jette et certains courent derrière le centime du matin au soir c’est vraiment absurde

 

d’ailleurs, maintenant que j’y pense, voilà un titre génial pour une exposition dans quelque Kunsthalle glaciale pleine de types chauves aux cols roulés noirs : De la merde

 

La SORTIE !!! Dieux de l’Olympe, merci. Le petit oiseau s’envole !! Ciao Gersende !!

 

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